vendredi 23 janvier 2015

Cheb i Sabbah (1947-2013)



De l'Algérie à l'Inde, via la France et les Etats-Unis... C'est l'histoire de DJ Cheb-i-Sabbah, de son vrai nom Haïm Serge El Baz, juif algérien qui arrive à Paris dans les années 60, où il commence une carrière de DJ, organisant plus tard des soirées mêlant sons indiens, nord-africains et brésiliens, et participant également à une troupe de théâtre expérimental. En 1986, il s'installe à San Francisco, s'investissant dans une autre compagnie de théâtre.

En tant que DJ, il invite des musiciens du monde entier pour des soirées de plus en plus travaillées au niveau de l'ambiance et visuelle, lors de soirées hebdomadaires "Africa/India/Arabia" au Nickie's. Il produit également une série de disques "1002 nights". Et c'est à partir de la fin des années 90 qu'il touche un public plus large grâce à une série de disques sortis chez Six Degrees Records, mêlant musique électronique, principalement indienne (reflet de ses préoccupations spirituelles), mais aussi nord-africaines le temps d'un album sorti en 2005 (et de son album de remix).

En 2011, c'est le début d'un combat contre un cancer de l'estomac. Ses amis sortent un disque "Samaya" pour l'aider à payer ses frais médicaux (la liste des participants montre l'importance de ce musicien), mais l'histoire s'arrête fin 2013. Reste une musique qui ne manquera pas d'inspirer les amateurs de Bombay Dub Orchestra, Transglobal Underground ou Natacha Atlas, et qui rêvant d'Inde et d'Orient chercheront l'accompagnement musical de leur quête de spiritualité.

Voici une petite playlist compilant des extraits de plusieurs de ses albums.

1 : "Ganga Dev", "Shri Durga", 1999
2 : "Kese kese", "Shri Durga", 1999
3 : "Violin solo", "Krishna Lila", 2002
4 : "Esh' Dani, Alash Mshit", "La Kahena : Les Voix du Maghreb", 2005
5 : "Im Ninalou [The Groovio Deep End Remix]", "The Ghriba : La Kahena Remixed", 2006
6 : "Raja Vedalu", "Krishna Lila", 2002
7 : "Qalanderi", "Devotion", 2008


jeudi 22 janvier 2015

Christophe Guilluy - "La France périphérique"



Christope Guilluy - La France périphérique
Flammarion, 2014.

C'est le premier livre du géographe Christophe Guilluy  que je lis. Celui-ci a fait  un certain bruit lors de sa sortie il y a quelques mois. Dans son accueil, on y retrouvait la véritable coupure médiatique (pas gauche/droite), notamment dans l'accueil opposé que réservèrent "Marianne" (retrouvant soudainement le chemin de ses origines) et "Libé" (sans surprises toujours bobo-parisianiste).

Considérant que les paramètres choisis par l'INSEE ne permettent pas de mettre en relief les vraies fractures françaises, C. Guilluy entend montrer en quelques cartes et l'utilisation d'un "indice de fragilité" regroupant huit indicateurs quelle est la véritable coupure entre France métropolitaine et France périphérique, montrant en chiffres comment la première regroupe les classes intégrées économiquement et comment l'autre, regroupant pourtant la majorité de la population se retrouve de plus en plus rejetée des zones actives économiquement, et montrant comment deux modes de vie se retrouvent en opposition de plus en plus marquée.

C'est comme çà que se présente le livre, et de fait tout le début est intéressant et assez bien étayé. Le chapitre 2 présente cet indice de fragilité qui semble assez pertinent, et des premiers tableaux récapitulatifs. Le chapitre 3 présente la France des métropoles, où se déploie tout le dynamisme libéral économique. Les cadres y sont surreprésentés, le nombre d'emplois a tendance à augmenter, les prix des logements font fuir les classes plus modestes, et le mode de vie se fait inégalitaire, multiculturel, et de plus en plus communautariste. Même les banlieues où se regroupent les descendants d'immigrés ne se retrouvent pas si mal loties selon l'auteur, car plus proches des zones d'emploi actives que beaucoup d'ouvriers non-immigrés. Le chapitre 4 présent au contraire cette France périphérique "qui gronde", regroupant territoires ruraux, périurbain "subi" économiquement et pour éviter les banlieues regroupant nombre de descendants d'immigrés (point longuement détaillé au chapitre 7) dont on a du mal à partir, zones anciennement industrielles sinistrées et outre-mer sans aucune métropole à proximité. L'auteur s'intéresse notamment au vote FN en France périphérique et à son évolution, et note que le gouvernement Valls a pris en compte le malaise d'une partie de celle-ci dans sa nouvelle définition des ZUS (Zones Urbaines Sensibles), y intégrant de nouvelles communes, y compris rurales.

Tout cela commence donc bien. Le problème du livre, c'est que dès sa deuxième moitié, le biais idéologique prend le pas sur l'explication scientifique. A la limite, on bascule dans la sociologie avec les études sur la défiance des français par rapport à leur classe politique qui ne leur ressemble plus (le maire ouvrier ou employé devient rare), déjà rebattues par ailleurs et qui n'apporte donc pas grand-chose au débat. Mais de géographie, il n'en est plus guère question, et c'est bien dommage.

Non pas que je ne partage pas pour une bonne part la vision globale qui est transmise par ce livre. Les références (Philippe Cohen, Michèle Tribalat, Jean-Claude Michéa... ainsi que l'opposition à la vision "Terra Nova" et à l'homme libéral hors-sol façon Jacques Attali) me parlent plutôt bien en fait (il cite aussi BHL, mais à sa place je le ferai aussi pour rigoler). Mais ce que j'attendais d'un tel livre, c'est qu'il me donne des "billes" s'appuyant sur des chiffres, afin d'affûter une réflexion politique.

Guilluy dit que l'argent dépensés depuis des dizaines d'années dans les banlieues françaises aurait pu être investi ailleurs, notamment dans cette France périphérique loin des métropoles. En effet pour lui, ces banlieues situées au coeur des métropoles bénéficient malgré tout du dynamisme économique de celles-ci, permettent l'émergence (même réduite) d'une classe moyenne d'origine immigrée (ce qui n'est plus le cas en France périphérique) et ne s'intégrent finalement pas si mal à ce mode de vie inégalitaire et libéral des métropoles. Il sait qu'il va être attaqué. Et c'est là qu'il aurait dû donner des chiffres au lieu de citer vaguement une ou deux études et de ne citer aucun autre chiffre que celui du taux de mobilité (qui en soit, ne prouve rien sur l'emploi). Il est dommage de même que ce fameux "indice de fragilité" ne serve que pour définir une carte, qui certes à du prendre du temps à élaborer, mais qu'on ne détaille plus par la suite.

Sinon, on revient à la stratégie des élites qui consiste à diaboliser le peuple, à dire qu'il ne comprend rien aux enjeux et à passer outre son avis. Sarkozy jouant à fond le communautarisme et le multiculturalisme (tout comme Hollande), puis l'identitarisme à pur but électoral, au grand désespoir des classes ouvrières et employées. On parle de la divergence croissante entre la mobilité internationale célébrées par les élites qui s'oppose à la sédentarisation contrainte des classes populaires dans des zones délaissées, qui devient facteur aggravant quand une des rares usines dans ces zones ferme. Et on termine par un long chapitre "Le village", où l'auteur développe sur un possible modèle de contre-société plus solidaire et sur des classes populaires qui ont accepté des années durant de jouer le jeu du multiculturalisme et de l'économie mondialisée et qui refusent désormais tout en bloc. Au passage, Guilluy indique qu'il n'est pas condamnable et pas nécessairement raciste de vouloir rester majoritaire sur son propre sol et que c'est quelque chose partagé partout dans le monde. Et de dénoncer encore une fois les élites qui ont les moyens de contourner dans les faits le modèle de "mixité" qu'elles promeuvent. Et que cette mixité impose de fait des territoires de plus en plus ethniquement hermétiquement séparés les uns des autres, quand on ne quitte pas la France pour rejoindre un "village" sans insécurité culturelle.

Bref, tout cela est intéressant et mérite lecture. C'est juste que c'est moins un livre de géographe, scientifiquement argumentés qu'un livre coup de poing socio-politique qui prend plus son appui sur la sociologie. C'est toujours bienvenu, mais ça a déjà été fait et ce n'est pas vraiment ce que j'attendais.