samedi 14 février 2015

De Golshifteh nue (un article de plus)

Voici ma réaction à un article posté récemment sur Rue 89 suite à la couverture du magazine "Egoïste" où la talentueuse Golshifteh Farahani pose nue pour le photographe Paolo Reversi. Cette couverture a déclenché plusieurs réactions dans la presse. Cet article de deux universitaires (sans précision) pose de bonnes questions sur le bruit médiatique et les commentaires qu'on, même si sa conclusion ne me convient pas.


Source : Egoïste

"Ce n’est apparemment pas une question de préférence médiatique exclusive pour les seins ou les corps nus – puisque les deux font scandale, en temps voulu –, ni une question de préférence nationale."

On pourrait se poser la question sur le "scandale" en question d'afficher un corps nu en couverture d'un magazine. Scandale en Iran peut-être, mais dans nos sociétés totalement blasées où le corps est tellement exploité que ça en devient banal, on peut se poser la question. Aucun "scandale" dans une femme nue en couverture d'un magazine.

A la limite, les Femen qui se foutent à poil dans une église ont fait à un moment scandale, car elles vont dans des endroits dits sacrés (une survivance de l'"ancien monde"). Mais un vrai bon scandale devrait être sous-tendu par un discours clair (pourquoi on fait çà dans un endroit pareil), devrait être un prétexte à poser une bonne question, à nourrir un débat (quitte à être en désaccord sur le sujet). Mais franchement, qui a compris quoi que ce soit de précis dans le discours confus de celles-ci ? Du coup, ça marche une fois ou deux (sauf pour des gogos médiatiques qui aiment remplir avec du vide et relaient leur accueil de DSK au procès du Carlton), mais après, c'est lassitude devant une telle débauche d'énergie... pour en fin de compte aboutir à du rien sinon de la stupidité. Nouvelles icônes post-modernes déjà passées de mode.

"Cependant, la surmédiatisation virale de l’acte de Golshifteh Farahani ne doit pas occulter les autres actions entreprises pour défendre – ouvertement cette fois – la cause de la liberté de la femme en Iran"

Très bien vu en effet... au passage, n'en déplaise aux intermittents de l'humanisme adeptes du gourou soralien pour qui l'Iran est un allié financier et idéologique de poids (tiens, en v'là du lobby aussi) et pour qui les droits des femmes ne doivent certainement pas être un gros problème, il y a quelques petits soucis de ce genre là-bas.

"Aimerais-tu faire de la politique ? Non, surtout pas. A quoi bon ? Regarde la France, qu’on dit un pays libre. Tu prononces un mot de travers, tu es fichue. C’est le royaume du conformisme, de l’hypocrisie. [...] Dans les dictatures, on surveille aussi ses paroles, mais il y a une raison. [...]"

Non seulement belle et talentueuse, mais aussi lucide.

"Parce que Paris, en même temps, est le seul endroit de la planète où les femmes ne sont pas coupables. En Orient, tu l’es tout le temps. [...]"

Une phrase comme on aimerait en entendre plus souvent. Merci Golshifteh d'aimer la France que tu as choisi comme nouveau port d'attache, malgré tous nos défauts qu'on veut bien admettre quand ils sont posés de manière équilibrée.

"Si j’étais partie en exil aux Etats-Unis, j’aurais été fichue. Los Angeles aurait été le pire endroit possible. La vulgarité, le puritanisme. Je serais devenue horrible."

Très très lucide. Et on t'aurait jeté au bout de quelques années quand tu n'aurais plus été bankable.

Source : GolshiftehNews

"Golshifteh Farahani, étendard de la cause des femmes en Iran (...) ? Pourquoi pas, mais depuis quand ? Depuis que certains commentateurs des médias en ont décidé ? Elle en a la carrure ; elle se tait ; candidate parfaite au « parlons à sa place », à une trahison collective d’un acte isolé et silencieux.

Cela dit, elle parle quand même beaucoup dans cette interview de l'Iran, des exilés, de ce qu'elle a vécu, de la pression que lui ont mis les autorités là-bas, de la peur de longs mois durant, et même après être partie... Et elle dit bien que sa précédente apparition dans "Corps et âmes" où elle dévoile un sein était une manière de marquer le coup, de montrer qu'il n'y aurait plus de retour possible dans son pays.

Mais elle ne parle pas de cette séance pour le magazine "Egoïste". Pas d'explication cette fois. On peut donc tout supposer. Geste politique. Geste plus personnel vis-à-vis des autorités de son pays d'origine sans y inclure un combat féministe, Et peut-être plus simplement geste artistique (c'est bête, mais çà peut arriver) sans intention politique précise. Juste pour travailler avec un photographe réputé et faire un joli travail en commun, ce qui est d'ailleurs le cas de ces clichés. Peut-être tout çà à la fois en fait. En douceur et en délicatesse, voilà qui fait du bien d'ailleurs.

"Elle, victime non plus du voile islamique, mais du « voile médiatique », ce voile qui fausse les intentions, les actions, par l’abondance de mots, de bavardages, de raccourcis, et qui trahit non seulement la voix de leur propre « élue », mais réduit également celle de milliers d’autres au silence, en leur accordant moins d’importance."

Excellent. Si l'article s'était arrêté là, c'eût été très bien.

"il y défie quiconque de se vanter de défendre la liberté d’expression de Golshifteh Farahani s’il ne défend pas avec la même vigueur le droit des citoyennes musulmanes à rester voilées en public, dans une Europe où l’islamophobie est latente."

Et paf. Là, je ne suis plus. Je ne défends pas avec vigueur le droit de poser nu en couverture d'un magazine, ce droit me semble bien peu remis en cause, on en abuse plutôt même. C'est la manière dont il est applique en quantité et en qualité qui pose un véritable problème selon moi.

De même, je ne défends pas le droit de porter un voile en public. Je reconnais ce droit dans une certaine limite et pour un voile discret, sans gants, qui ne dissimule pas la personne et qui n'empêche pas les règles sociales élémentaires de courtoisie et de vivre ensemble en société. Mais je ne défends certainement pas celui-ci en tant que moyen de pression sur la société qu'utilisent des gens dont les valeurs (identitarisme ethnico-religieux) ne sont pas les miennes, ils ont déjà des élus idiots utiles pour cela. Je m'affirme contre cette idéologie-là.

En revanche, dans une époque où tout doit être exposé crûment sur la place publique, sur les réseaux sociaux, y compris (et surtout) son côté animal, jouisseur sans entraves, son intimité sexuelle, et si possible de la manière la plus pornographique possible (pas question de sentiments dans ce grand supermarché de chair), je défends le droit de garder une certaine pudeur, y compris quand elle doit passer par un vêtement religieux non porté comme effet de mode, non porté comme outil de revendication politique agressive, mais comme quelque chose qui correspond à un véritable choix intime, fait seul avec sa conscience et qui n'implique pas la fermeture vis-à-vis de l'autre.

Dans une époque où les dieux se nomment Argent et Ma Gueule, je comprends le droit à une envie de transcendance spirituelle, quitte à ce que celle-ci passe par une expression visuelle, et je le défends dans certaines bornes légales. J'admets ceci dit que ce droit, je le défends avec mollesse comparé à celui dont il sera question après, mon côté mâle blanc occidental réac', diraient certains.

Pour la même raison, je m'affirme contre le déballage intempestif de chair et de bêtise glauque et crasse. Mais je défends la nudité artistique, simple et discrète, ou bien travaillée avec goût. C'est celle-ci qu'il faut réhabiliter. Elle n'est pas incompatible avec l'intelligence, la sensibilité, la délicatesse et une certaine pudeur (comme les photos de cette séance entre Golshifteh Farahani et Paolo Reversi), valeurs il est vrai ringardes dans la société actuelle. Pas de pseudo-provocation sexuelle dans ce visage, pas de militantisme agressif dans cette pose. C'est en ce sens que cette couverture sans artifices (ou presque - un petit photoshoppage peut-être ?) invite à la réflexion. Une simplicité qui détonne, sans titres et sous titres tape-à-l'oeil. Un grand titre, un nom, un numéro. C'est tout. Qu'est-ce que j'aimerais que ce soit plus souvent comme çà, les couvertures de médias.

Je défends ce choix-là avec plus de force, car je ne serais pas gêné par la disparition des voiles en France (car je ne m'accorde pas avec certaines valeurs sous-jacentes), tout comme je ne serais pas gêné de l'effacement du pseudo-sexy vulgaire et de l'esthétique porno-chic à des heures de grandes écoutes et des devantures de kiosques, mais beaucoup plus par l'interdiction des nus de qualités, vecteurs d'expression artistique depuis des millénaires.

Sinon, pour en revenir à la citation précédente, c'est là où je me sépare des deux auteurs de l'article de Rue89. Ils semblent ne pas faire cette distinction dans leur discours sur le voile entre les deux interprétations, l'affirmation spirituelle qui pourrait je pense être acceptée par la société française dans une certaine limite, et l'identitarisme façon gyrophare et sirène hurlante, qui nourrit la défiance de celle-ci par rapport à l'islam. De même, ils ne parlent pas des différences entre nu et nu, qui n'était certes pas le sujet de leur article (lequel traitait plutôt des risques de manipulation d'un acte non commenté). Mais pourquoi alors parler deux fois de "l'islamophobie latente" en France, qui semble un peu hors-sujet par rapport au fil principal de l'article ?


Extrait de "My sweet pepper land". Avec des compositions musicales de Golshifteh Farahani, interprétées par elle-même.

Ma conclusion : plutôt Golshifteh que Nabilla ou les Kardashian. Plutôt Paolo Reversi qu'une sextape vomie sur Youtube. Plutôt un tirage à 25000 exemplaires que des millions de vues. Mais est-ce que les jeunes gens, gavés de saloperie visuelle depuis des années savent encore faire la différence ?

Non au niqab, non à la pornographie en mots et en images dans la sphère publique, y compris quand il n'est pas question de sexe. Oui au bon goût (mais dans notre société libérale, "tout se vaut", le beau et le cracra, hélàs).

En ce sens-là, cette photo prend son sens pour moi.

Et Rue89 ne s'y est pas trompé en mettant en avant ce commentaire :

"C’est quand même rare, une photo de nu ou ce qui interpelle le plus, ce n’est ni les seins, ni les fesses, mais le regard."

Allez savoir si ce n'est en effet pas çà qui choque le plus notre époque.